Le CAMC adresse ses vifs remerciements à Gottfried Honegger pour son aimable autorisation à publier, ici, ses textes.
Un hommage à Marcelle Cahn
Tu es née en 1895 à Strasbourg.
Tu nous as quittés en 1981.
Par ce fait ton oeuvre témoigne de l'art de notre siècle.
Tu as vécu et participé à ces changements.
Tu es actrice et témoin.
Tu as assumé l'engagement que l'art demande.
Tu n'as jamais hésité, tu n'as jamais trahi.
Tu n'es jamais tombée dans le piège du succès facile.
Tu ne t'es jamais enfermée dans une doctrine.
Ton humour et ton amour t'ont protégée contre un monde cruel.
Les traces de ton oeuvre
tes tableaux cubistes et constructifs
montrent bien que tu avais l'esprit novateur.
Que tu voulais comprendre
répondre à nos questions.
Je n'ai pas de mémoire, j'ai des souvenirs.
C'était en 1963, j'ai frappé pour la première fois à la porte de ton atelier. La rue Daguerre était notre rue commune. Ce qui me permettait de te voir et de te parler assez souvent. Ton atelier était une sorte d'assemblage, un lieu qui se présentait comme un collage en trois dimensions. Tu étais capable de rire. Je te vois encore fragile et transparente - vêtue de ton blouson de travail. Tu te battais contre des techniques, contre la résistance des matières. Tu étais à la recherche d'un blanc au-dessus de tous les blancs. Tu voulais découvrir la mère et le père - le cercle et le carré. Mais pour le reste, rien n'échappait à tes yeux. Tout ce qui t'entourait était condamné à être transformé en une oeuvre d'art. Une enveloppe, une boîte de médicaments ou un ticket de métro te suffisaient pour partir dans tes rêves, pour nous ouvrir les yeux, pour la poésie de notre monde. A la fin de ta vie, l'esprit dada se manifeste en toi dans une pureté qui me permet de dire que l'art est la plus haute qualité spirituelle de l'homme. Tu as refusé l'inutile. Tu n'as pas alourdi ton travail avec un faux luxe, avec une activité vaniteuse.
Marcelle Cahn...
Ton comportement a profondément marqué ma façon de vivre. C'est toi qui as tracé ma ligne de sécurité. C'est toi qui dans les moments difficiles me donnes le courage d'aller de l'avant.
C'est toi qui m'as appris que l'art c'est la vie.
J'imite ta façon de rire.
Oui, Madame Marcelle Cahn, il y a des moments où j'aimerais vous téléphoner, où j'aimerais vous poser mes questions. Mais voilà, vos oeuvres sont là pour me réconcilier avec moi-même. Cet hommage, vous le méritez. Vous le méritez d'autant plus que vous avez contribué à démasquer les « fleurs du mal ».
Ce texte date de 1993, il est paru dans :
HONEGGER Gottfried. Homo Scriptor. Les Presses du Réel, 2004.
Le 6 octobre
Marcelle Cahn n'est plus. C'était un des plus adorables êtres humains qu'il ne m'a jamais été donné de rencontrer. Une artiste par toutes les fibres de son être. J'aimerais avoir dans la vie sa poésie, son courage, sa joie, sa position face à l'art.
Marcelle Cahn a inventé des contes-tableaux, elle n'a pas produit, elle a mis au monde.
Comme par magie elle a transformé nos déchets, elle leur a donné un sens nouveau. Quel besoin avons-nous, pour être célèbre, d'une biographie riche en supports médiatiques? La célébrité présuppose l'existence d'une légende.
Marcelle Cahn aussi a eu une histoire personnelle dramatique. Elle était l'élève de Lovis Corinth (expressionniste). Elle est née et a vécu à Strasbourg. C'est-à-dire qu'elle était française, qu'elle est devenue allemande à la suite de la guerre puis qu'elle est redevenue française. Jusqu'à la fin de sa vie elle a été pauvre, très pauvre. Mais ce qui comptait pour Marcelle Cahn n'était pas son destin personnel mais bien l'art. Pas la moindre trace d'apitoiement sur elle-même. De sa petite voix elle créait des oeuvres pleines de force.
Extrait du journal de Honegger, année 1981, paru dans :
HONEGGER Gottfried. Homo Scriptor. Les Presses du Réel, 2004.
